Bug
Dessinateur : Enki Bilal
Scénariste : Enki Bilal
Coloriste : Enki Bilal
Editeur: Casterman
Résumé
BUG définition :
En français : se dit d'un défaut affectant un programme informatique.
En anglais : se dit d'un insecte, d'une bestiole, d'un virus...
En 2041, la Terre est brutalement et simultanément confrontée aux deux. Un homme taché de bleu, et au corps squatté par un alien, se retrouve dans la tourmente, convoité par le reste du monde.
Lors du retour de la navette envoyé vers mars par la firme privée, Lifedust One, un évènement inattendu et improbable est survenu. La navette s’est approchée d’une nébuleuse bleue du côté de la face cachée de la lune, et une pluie bleue a pénétré le vaisseau, s’infiltrant par le cou de l’équipage. Tous sont morts, excepté Kameron Obb, un pilote de l’expédition, récupéré par l’équipage d’une navette.
Simultanément à cet évènement, la terre est paralysée par un arrêt brusque du fonctionnement de tout appareil numérique. C’est le chaos total, le monde entier est plongé dans la panique et le désordre.
Kameron Obb, qui semble à lui seul avoir hérité de toutes les données perdues, et dont le savoir est infini, parvient à ramener la navette sur terre, accompagné par le docteur Junia Perth. Kameron Obb devient l’objet de toutes les convoitises, et une chasse à l’homme doublée d’une course contre la montre entre grandes puissances, mafias, groupuscules unifiés intégristes de tout bord commence afin d’être le premier à posséder ce savoir.
Kameron Obb n’a qu’un seul objectif, retrouver sa fille Gemma, qu’un groupe mafieux n’a pas hésité à kidnapper pour servir d’appât.
Mon avis
Enki Bilal, dans ce livre 2, imbrique avec brio la science-fiction, le thriller et le questionnement éthique. Kameron Obb, l’homme le plus convoité et recherché du monde, qui découvre chaque jour un peu plus l’étendue de son savoir immédiat, avec ce « bug » vivant à l’intérieur de lui qui semble avoir trouvé en Obb une compatibilité, poursuit son but essentiel, celui de retrouver sa fille Gemma et de la protéger, comme n’importe quel parent. Accompagné dans sa quête par le docteur Junia Perth, qui elle aussi s’est faite contaminée par la tâche bleue. Enki Bilal, à travers le personnage d’Obb, nous ramène à la simplicité de la vie, à son essence, en opposition avec la puissance dont il a hérité. Seuls Obb, Junia Perth et Gemma nous apparaissent encore pleinement humains. Comme des héros dont le seul désir est de se retrouver, sans arrières pensées.
Enki Bilal nous balade dans les différentes mouvances religieuses, idéologiques, politiques, nous en montrant les limites et les failles.
L’auteur pointe ce que deviendrait un monde dépendant totalement du numérique, en particulier avec un transhumanisme affirmé, en cas de bug généralisé.
Plus les humains ont d’implants améliorant leurs performances physiques et intellectuelles, et les gardant jeunes éternellement, plus ils sont en danger de mort, souffrants et non opérationnels.
A contrario, les humains et nations non numérisés, par choix ou pour des raisons économiques, se voient les moins touchés par ce bug. Mais cela n’empêche pas que tout est à réinventer, toute la société, la jeunesse s’étant calqué sur le digital.
Aujourd’hui, la technologie numérique change profondément nos habitudes et nos modes de fonctionnement, et cela va à une vitesse exponentielle. Révolution dans les soins médicaux, les transports, influenceurs, fake news, manipulation via les réseaux sociaux, colonisation de l’espace… La numérisation des données et des informations est la priorité actuelle des entreprises et des gouvernements pour rester dans la course. On imagine facilement que dans notre contexte de vie actuelle, un bug à l’échelle planétaire puisse tout paralyser et provoquer des catastrophes, comme le crash du Boeing 737 Max.
Enki Bilal grâce à ses magnifiques planches, son graphisme typique, pointe que plus rien ne fonctionne, les moyens de transport, l’approvisionnement, l’énergétique, les hôpitaux, c’est le chaos à l’échelle planétaire. La peur, l’angoisse, le chacun pour soi, la cupidité règne.
L’unique réponse envisagée par l’humanité dans un premier temps est une course effrénée pour retrouver Obb, détenteur de toutes les données. Pour les démocraties afin d’éviter l’anarchie et rétablir l’ordre mondial, pour d’autres ce serait l’occasion d’asseoir leurs idéologies et leurs propres pouvoirs.
Inévitablement, le lecteur réalise des parallèles avec notre mode de vie et de consommation actuelle, et les mouvements qui le remettent en cause.
La jeunesse, notamment via la figure de proue de Greta Thunberg, qui a initié un mouvement général de protestation contre le réchauffement climatique, en exhortant les gouvernements à agir concrètement immédiatement, nous pousse à nous questionner sur un modèle qui perd son sens.
Partout, la jeunesse se mobilise, initiant un nouveau mode de pensée.
Dans Bug, l’humanité est dans une période de transition, et cela nous renvoie à ce que nous observons actuellement.
La jeunesse nous interpelle sur la surproduction, la surconsommation, l’économie de marché, la pollution massive, le rapport au travail, les marchés financiers, cette course à la croissance comme modèle qui nous mène à l’autodestruction, tant de la planète que de l’humain (burn out, dépression, individualisme…).
Cependant, les grands acteurs mondiaux, tant politiques qu’économiques poursuivent ce modèle qui ne correspond plus à la mouvance actuelle. Des citoyens toujours plus nombreux appellent à la recherche globale de sens, à un équilibre plus juste, à un retour au respect de la nature et du monde vivant, notamment des animaux que nous exploitons de façon indécente.
Dans ce second épisode, c’est la fin du numérique, et Enki Bilal nous en montre les conséquences, mais laisse la porte ouverte à un monde nouveau et aux différentes directions que ce monde pourrait prendre.
L’auteur met la solidarité intergénérationnelle en avant. Un appel est fait aux vieux qui peuvent utiliser les anciennes technologies et connaissent les techniques sans avoir recours aux logiciels. La mémoire vive, c’est eux.
Il ouvre une possibilité avec une montée des femmes au pouvoir, qui remplacent des hommes, devenus inaptes, aux fonctions dirigeantes.
Enki Bilal initie également un nouveau mode de communication par la télépathie entre Kameron Obb et Junia Perth, en lien avec cette nébuleuse bleue dont le mystère reste entier.
Dans Bug, que va-t-il se passer durant cette période de transition, des groupuscules vont-ils réussir à s’imposer avec leurs dogmes en prenant le pouvoir ?
Quel va être le nouveau paradigme de ce monde à réinventer, va-t-il se diriger vers une nouvelle abondance, peut-être moins matérielle mais ou l’humain pourrait pleinement s’épanouir ?
Ou bien Kameron Obb va-t-il se laisser séduire par cette toute nouvelle puissance ?
Tout laisse à penser, ou du moins à espérer, que le Bug lié à la nébuleuse bleue qui ne cesse de s’étendre autour de la lune saura déjouer les pièges, et parviendra à travers Obb, à nous aider et à nous guider dans nos dérives humaines vers une renaissance.
Ne faisons-nous pas partie d’un grand tout interdépendant ?