Les lueurs de l'Outre-Monde
Dessinateur : Yamakujira
Scénariste : Yamakujira
Editeur: Kurokawa
L’histoire de ce tome en quelques lignes…
Dans les brumes de l’an 19 de l’ère Meiji (1886), alors que le Japon moderne naît des cendres du shogunat, les frontières entre les mondes s’estompent. Torasuke, petit démon aux cornes sombres, glisse invisible parmi les mortels aux côtés de son compagnon Ushimatsu. Leur mission ancestrale : récolter les âmes humaines à l’instant fatidique où la mort les fauche, avant que ces esprits perdus ne se muent en spectres vengeurs ou ne soient dévorés par les ayakashi affamés.
Cette routine millénaire bascule lorsque Sôma, un médium aux yeux perçants, brise le voile de l’invisible en les interpellant. Cet homme singulier, capable de voir au-delà du visible, entraîne Torasuke dans un monde qu’il n’avait jamais effleuré - celui des vivants. Ensemble, ils traqueront les âmes errantes à travers un Japon où les traditions shintoïstes résistent à l’occidentalisation. Sur leur chemin spectral, ils croiseront Nene, jeune femme marquée par la souffrance, qui éveillera dans le cœur du petit démon des émotions aussi troublantes qu’inconnues.
Ce qu’on en a pensé…
Les Lueurs de l’Outre-Monde se dresse comme un pont entre les mondes, tissant sa toile narrative dans cette zone crépusculaire où le folklore japonais rencontre l’histoire. Yamakujira convoque les esprits du passé nippon avec la délicatesse d’un maître des cérémonies funéraires, créant une œuvre qui murmure autant qu’elle raconte.
Le génie de l’auteure réside dans sa capacité à faire de l’invisible le véritable protagoniste de son récit. Chaque page exhale cette mélancolie propre aux êtres condamnés à errer entre les mondes, ni tout à fait morts ni véritablement vivants. L’époque Meiji devient un terrain de chasse idéal pour ces créatures liminales, période charnière où les anciens kamis côtoient les nouveaux dieux industriels.
Les références historiques - guerre de Boshin, épidémies de choléra, condition féminine - ne sont pas de simples décors mais des blessures encore saignantes dans la chair du Japon, autant de portes ouvertes vers l’au-delà que parcourent nos collecteurs d’âmes. Nene incarne parfaitement cette douleur fantomatique, portant en elle les stigmates d’un passé qui refuse de mourir.
Le trait de Yamakujira capture avec une précision troublante cette qualité éthérée du surnaturel. Ses personnages semblent perpétuellement suspendus entre deux respirations, deux battements de cœur, dans cet instant suspendu où la vie bascule vers l’éternité. La douceur apparente de son style masque une mélancolie profonde, comme ces sourires figés sur les masques nô qui dissimulent des tragédies séculaires.
Si l’œuvre puise dans des thématiques universelles - la mort qui rôde, les regrets qui hantent -, elle évite l’écueil du déjà-vu par la sincérité de son approche. Yamakujira ne cherche pas à effrayer mais à émouvoir, transformant chaque fantôme en miroir de nos propres blessures. L’évocation de violences passées, bien que délicate, renforce cette dimension spectrale où les traumatismes continuent de hanter les vivants.
Les Lueurs de l’Outre-Monde s’impose comme un requiem moderne pour les âmes perdues du Japon de Meiji. Sans révolutionner les codes du fantastique nippon, Yamakujira parvient à créer une œuvre véritablement habitée, où chaque page résonne comme un chant funèbre empreint d’une beauté mélancolique.
Un premier tome qui annonce une auteure capable de donner chair aux esprits et de faire battre le cœur des fantômes.
Milan Morales