Paraiso
Série: Paraiso, Tome 0
Dessinateur : Suehiro Maruo
Scénariste : Suehiro Maruo
Editeur: Casterman
5 nouvelles…
La première, « Diabolique », évoque la vie d’enfants japonais vivant dans les décombres après la chute de la bombe atomique. Les orphelins se retrouvent dans une institution gérée par un prêtre fanatique et libidineux. Lorsque l’orphelinat est attaqué et détruit par une meute affamée, les enfants qui l’ont fui et se retrouvent à la rue, dans la misère et sont confrontés à la faim. Le salut viendra-t-il de cet autre prêtre qui leur offre à manger ?
La seconde, « Vagabond de guerre », décrit la débrouille des enfants dans une société miséreuse, vivant de la débrouille et de menus larcins. Lorsque les enfants sont pris dans une rafle, c’est direction l’orphelinat…
La troisième »Dodo, l’enfant do » explique que lorsqu’on vit dans la misère, on a de la chance d’être hébergé par la prostituée locale. C’est mieux que chez une femme qui profite de l’enfant qu’elle héberge pour assouvir ses désirs sexuels tout en lui faisant vendre des fleurs en journée… Et les apparences sont parfois trompeuses, la sorcière hideuse qui promène son bébé mort peut aussi avoir des talents de guérisseuse…
La quatrième « Monsieur le Hollandais » évoque l’histoire d’un prêtre, le père Kolbe (bien plus recommandable), qui a quitté le Japon et se retrouve dans le camp de concentration d’Auschwitz pour avoir mené des actions contre le régime nazi. Suite à la fuite d’un prisonnier, vingt détenus sont condamnés à mourir de faim et de soif et le père Kolbe se porte volontaire à la place d’un autre. Sa résistance à la souffrance et son soutien aux autres détenus seront remarquables, l’image de la Vierge qu’il détient n’y est peut-être pas pour rien…
Le cinquième, « La Vierge Marie », prend le point de vue d’un autre prisonnier qui se trouve dans le camp de concentration au moment où se déroulent les événements décrits dans la nouvelle précédente. Elle explique l’angoisse vécue par un dessinateur de bande dessinée que Kolbe a aidé (il lui offre un dessin de la Vierge en signe de reconnaissance). Ce dessinateur tremble lorsqu’on désigne les vingt « volontaire » voués à la mort, il s’interroge sur le geste de Kolbe de s’être porté volontaire et il retrouve un peu d’humanité dans ce camp de concentration qui est en pourtant tellement dépourvu…Suehiro Maruo est un auteur de manga qui crée des ambiances particulières, sulfureuses (on dit aussi au Japon qu’il est le maître de l’érotique-grotesque mais cela ne se voit pas dans cet album). J’ai déjà eu l’occasion de découvrir ce style particulier dans « Tomino la maudite » (parue en double tome également chez Casterman et chroniqué sur ce site), mais, ce qui rend ce récit encore plus sombre et glaçant, c’est qu’il est aussi très réaliste dans le sens où il se déroule dans deux contextes particuliers : la famine au Japon après l’explosion de la bombe atomique pendant la guerre et la réalité des camps de concentration.
Ces cinq nouvelles démontrent comment, acculé par une misère noire, l’être humain se révèle tant dans sa beauté que dans sa laideur cruelle. Au travers de l’image du prêtre, l’auteur démontre combien la religion peut être source d’humanité, mais également combien elle peut pervertir « l’homme de dieu » et le plonger dans sa noirceur.
Le style de Suehiro Maruo est donc quelque chose de particulier, mais on ne peut pas être insensible à la qualité graphique du récit ni à l’atmosphère trouve qui s’en dégage, alimentée par ces personnages au regard trouble vivant dans un monde à la fois allégorique et décharné. Le thème de l’enfant victime de l’adulte reste bien présent.
C’est donc dans un monde particulier que nous invite l’auteur, mais qui ne laisse pas indifférent, tellement la noirceur se révèle particulièrement humaine et n’a finalement que peu changé depuis la période de la guerre couverte par les cinq récits. Quelle ironie que d’avoir intitulé ce livre : Paraiso !