Walthéry le facétieux
Editeur: Kennes
En guise de préambule… (Par Charles-Louis Detournay)
Peu nombreux sont les auteurs de bande dessinée comme François Walthéry à avoir eu droit à plusieurs biographies réparties sur quarante ans. Il faut dire qu'entre ses débuts réalisés à 17 ans avec Mittéi, son travail chez Peyo sur les Schtroumpfs, Benoit Brisefer, ainsi que Johan et Pirlouit, sans oublier la création de Natacha, première véritable héroine de la bande dessinée Franco-belge, il y avait et il y a toujours beaucoup à dire.
Évoquer par le menu ces soixante ans de carrière, voilà ce que François Walthéry m'avait proposé initialement en 2016, à l'occasion de la cérémonie des Prix Diagonale (devenus entre-temps les Prix Victor Rossel de la bande dessinée) alors que le Grand
Prix le récompensait ce soir-là pour la totalité de son œuvre. « Tu connais si bien ma carrière ! Tu n'écrirais pas ma biographie ? » m'a-t-il demandé, alors que nous restions en petit comité après les festivités.
Même si nous nous connaissions déjà bien (j'avais eu l'occasion de réaliser en 2013 et 2014 l'ensemble des quatre dossiers d'introduction de l'intégrale de Rubine publiée au Lombard), je restais sidéré par la taille de l'entreprise. Comment cerner ce
monument que représente François Walthéry ? Lui qui s'est d'un côté imposé si rapidement comme une figure incontournable de la bande dessinée ? Tout en se glissant de l'autre côté dans les coulisses de la BD belge depuis le début des années 1960? Mais en y allant progressivement, bien entendu !
Nous avons donc commencé à nous rencontrer plusieurs fois pour retracer l'intégralité de sa carrière. Notre première entrevue a débuté juste après le décès de Nine Culliford, l'épouse de Peyo. Impossible de ne pas évoquer cette dame merveilleuse qui a pour ainsi dire hébergé Walthéry à Bruxelles pendant dix ans.
Remisées les questions que j'avais préparées sur le tout début de son parcours ! Nous avons donc rendu hommage à Nine pour commencer, ce qui a donné suite à des dizaines d'autres rencontres placées sous le même signe de l'amitié et des relations
fortes nouées au sein du petit monde de la bande dessinée, plutôt que de se focaliser sur la technique de réalisation des albums eux-mêmes.
Car voilà bien le cœur de la passion de François Walthéry. Certes, il demeure un inconditionnel du neuvième art, mais il reste avant tout motivé par les rencontres et les échanges, un comble dans ce métier de solitaires où les plus grandes légendes
se sont construites seules, courbées sur leurs tables à dessin.
Bien sûr, de tous ces échanges sont sorties des quantités d'informations propres à la réalisation même de ses bandes dessinées, à commencer par les albums de Natacha. Des données passionnantes que les connaisseurs de la belle hôtesse de l'air ont
pu retrouver dans les cent quatre-vingts pages que nous avons écrites, Didier Pasamonik et moi, au sein des dossiers qui ont complété la réédition de la série chez Hachette Collections (2018).
Mais avec le recul, il ressort que pour mieux comprendre le tonus et le rythme qui dopent toutes ces aventures de papier, il faut nécessairement appréhender l'homme qui se cache derrière ses personnages. Et avant tout, les relations qu'il a construites
avec les autres auteurs de ce qu'on a progressivement appelé «le neuvième art».
Après cinq années de travail et d'interviews, l'ouvrage que vous allez lire débute sans doute comme une biographie, mais dérive rapidement sur une compilation d'anecdotes qui cernent plus le bon vivant que l'auteur. François Walthéry méritait qu'on se penche plus attentivement sur son travail ? Certainement!
Mais nous allons cette fois nous focaliser sur les rencontres et les amitiés qu'il a nouées avec quelques autres illustres auteurs ainsi que quelques gags de potaches auxquels ils se sont livrés.
Ces derniers témoignent de la franche camaraderie qui régnait entre eux et dont l'atmosphère teintait les albums qu'ils réalisaient dans le même temps.
Bien sûr, François Walthéry ne s'est pas amusé qu'avec des auteurs de bande dessinée, mais ces quelques exemples repris dans les pages qui suivent sont un témoignage de ce qu'il a vécu et qu'il continue de partager avec quantité de
proches. Car pour François Walthéry, la vie ne se conçoit pas sans échange, ni éclat de rire !
Ce merveilleux raconteur d'anecdotes va d'ailleurs lui-même vous détailler les centaines d'aventures cocasses ou drôles qui lui sont parvenues. Et il ne sera pas seul : une dizaine des amis et collègues ont également ouvert la boîte à souvenirs pour en
extirper les plus savoureux moments d'une carrière bien remplie.
Vous pouvez les découvrir dans cet ordre presque chronologique, ou vous laisser guider par les titres égrenés au fil des pages.
Sachez juste qu'un petit glossaire se trouve en fin d'ouvrage, au cas où vous voudriez bien saisir le profil d'un auteur, d'un lieu ou d'un magazine.
Le résumé de ce livre, en quelques lignes…
François Walthéry fait partie de ses auteurs qui sont -presque littéralement !- né avec un crayon dans la main. Imaginez donc :
A 8 ans, il se penche sur 2 albums de Tintin et sur un Spirou & Fantasio : « il y a un soricer à Champignac ». Véritable révélation, il va alors se lancer dans une recopie intégrale par décalcage d’une autre aventure de Spirou : « La Corne du Rhinocéros. La passion de sa vie vient de là. Empli de sa candeur et de sa naïveté, il va alors trouver Mittéi (qui habitait près de chez lui) qui tombera sous le charme de ce galopin en culotte courte et lui procurera de précieux conseils. C’est pourtant dans un fanzine qu’il se rendra compte de l’âpreté du métier sur la série « Pipo et compagnie »
Adolescent à 17 ans, il est ensuite convoqué par Yvan Delporte (et Charles Dupuis). Il se rendra au rendez-vous avec sa maman et n’ayant pris avec aucune planche pour présenter son travail, sortira un tout petit dessin du fond de sa poche… Sa mère se mettra en colère et lui assénera une magistrale mandale devant l’éditeur !
Il rentrera néanmoins alors au studio de Peyo, assistera à la conception graphique de la Schtroumpfette, et rencontrera ainsi d’autres titans du IXème Art : Franquin, Will, Tillieux, Roba et l’incroyable Jidehem!
Notre jeune dessinateur avait pour tâches de travailler sur les décors (et parfois il pouvait encrer certains personnages).
En 1965, lors de son service militaire, il dessine pour la première fois son personnage Natacha, sur un scénario de Gos. A partir de ce moment, son héroïne l’accompagnera et deviendra l’œuvre de sa vie…
Ce qu’on en a pensé…
Walthéry est sans doute l’auteur qui a connu le plus de monde dans la BD, grâce à sa bonne humeur, son côté festif et son incroyable générosité. (Ne cherchez donc pas plus loin l’origine du titre de ce livre et observez plutôt les personnages en arrière-plan sur la couverture; certains ne devraient pas vous être inconnus!)
Charles-Louis Detournay nous livre ici une biographie très fournie dans laquelle il laisse la parole à son sujet. Evidemment, Walthéry n’a jamais sa langue dans sa poche et on aime l’écouter raconter. Néanmoins, l’auteur de ce livre a eu l’intelligence de surtout faire parler les amis, les collègues de Walthéry ; On trouvera ainsi au travers des presque 300 pages de ce recueil un fourmillement d’anecdotes personnelles, une foultitude de détails que certes les connaisseurs avaient déjà entendus parler, mais racontés au travers du prisme de lecture d’une tierce personne proche de Walthéry…
En ce sens ainsi, « Walthéry le facétieux » vient en parfait complément de lecture à une autre biographie, tout en images elle, « Walthéry – Une vie en dessins » (aux éditions Champaka) où l’on retrouve plus de 200 fac-similés de l’auteur.
Avec ces 2 ouvrages, on pourra embrasser au mieux la gigantesque carrière de cet auteur tellement sympathique.
Un dernier mot enfin sur un point qui me chiffonne quelque peu : les éditions Kennes veillent toujours à apporter une plus-value qualitative sur la forme de leurs ouvrages. Hors pour celui-ci, on tient en main un livre « lambda » où l’on ne retrouve pas la « Touche » Kennes ? Un poil déçu donc sur cet aspect.
Il n’en reste pas moins que le fond de cet album est tout simplement d’une folle richesse ; Charles-Louis Detournay nous livre ici une très belle compilation des principaux faits marquants qui ont jalonné la carrière de François Walthéry en s’effaçant complètement derrière la parole des interlocuteurs. Cette humilité se ressent dans son écrit tant il ne prend parole que pour servir de liant entre les différents chapitres. A titre personnel, j’ai par exemple dégusté le relaté de la naissance des éditions Khani, grâce à Walthéry …
Truculent, tout simplement !
Milan Morales